A l’heure du bilan sur le second Plan Autisme, qui doit être prochainement remis à Mme la Ministre Roselyne Bachelot par la Sénatrice Mme Valérie Létard, la revue hispanophone
de l’autisme « Autismo Diario » publie sur son site un article intitulé « Autisme en France : bienvenue au pays des horreurs ».
Cet article au titre lapidaire doit nous amener, nous citoyens Français, ainsi que nos médecins et nos responsables politiques, à nous interroger sur le sort qui est fait aux enfants autistes
en France aujourd’hui. En effet, malgré plusieurs « plans autisme », 80% des enfants atteints d'autisme restent isolés de la société ordinaire, maintenus en institutions avec peu
d’interaction avec le monde extérieur.
Pourtant les progrès accomplis depuis 40 ans sur les prise en charge et l’exemple d’autres pays plus avancés que nous sur la question (incluant certains de nos voisins géographiques) démontre
qu’un tel traitement n’est ni inévitable, ni souhaitable, tant pour leur évolution propre que pour la société. Alors détaillons maintenant ce que nous savons de la situation de nos enfants
lorsqu’ils ont la malchance d’être porteurs de ce trouble qu’on appelle l’autisme, et essayons de comprendre le pourquoi de cette condamnation sans appel de nos pratiques par les autres pays.
Voyons donc le parcours-type d’un enfant présentant des troubles du spectre autistique.
Lorsque les parents ont réussi à convaincre leur pédiatre ou médecin traitant que le développement de leur enfant est inquiétant, ce dernier sera tout d’abord adressé au CAMSP (Centre
d’Action Médico-Social Précoce). Les missions des CAMSP sont le dépistage, la prévention et le traitement en cure ambulatoire des enfants de 0 à 6 ans atteints d'un handicap sensoriel,
moteur ou mental, en vue d'une adaptation sociale et éducative dans leur milieu naturel (loi du 30/06/75 et décret du 15/04/76). Les équipes des CAMSP (pédiatre, pédo-psychiatres,
orthophonistes, psychomotriciens, éducateurs...) sont donc très généralistes et ont une formation initiale sur les troubles du spectre autistique à la fois succincte et obsolète (voir plus
loin le paragraphe sur les hôpitaux de jour). Les parents qui viennent chercher des informations et un soutien se voient le plus souvent reprocher leur mode éducatif, prétendument
responsable du repli autistique de leur enfant. Ils doivent souvent insister pour que leur enfant soit orienté vers le Centre de Ressources Autisme afin d’avoir un diagnostic. Jusqu’à l’âge
de 6 ans - à moins que les parents aient accès à des professionnels libéraux (psychologue comportementaliste et accompagnants psycho-éducatifs) et qu’ils aient les moyens financiers d’y
recourir – la seule prise en charge à leur disposition est celle proposée par le CAMSP. Compte tenu du nombre d’enfants suivis et de la multiplicité des handicaps traités, l’attribution
des séances d’orthophonie, de psychomotricité et éventuellement d’ergothérapie répond plus aux contraintes temporelles des intervenants qu’aux besoins réels des enfants. Par exemple, un
enfant se verra attribuer une séance hebdomadaire d’orthophonie alors que son bilan orthophonique en préconise trois, ou bien un enfant non-verbal se verra refuser l’orthophonie, alors que,
au contraire, l’accès précoce à un mode de communication est un besoin prioritaire qui conditionne tout son devenir. Au total, la prise en charge en CAMSP se résume à une à trois séances de
45 minutes par semaine dans différentes disciplines par des intervenants la plupart du temps ignorants voire hostiles aux méthodes psycho-éducatives recommandées internationalement.
Au-delà de l’âge de 6 ans, voire parfois plus tôt selon sa situation géographique, si le handicap reste compatible avec un maintien dans le milieu familial et une scolarisation plus ou moins
partielle, l’enfant est orienté vers un CMP (Centre Médico-Psychologique) - anciennement appelé dispensaire d’hygiène mentale-, ou un CMPP (Centre Médico-Psycho-Pédagogique). Ces
structures, même si elles font appel à des intervenants similaires aux CAMSP, sont des structures essentiellement sanitaires rattachées au secteur hospitalier psychiatrique et ne sont donc
absolument pas adaptées aux problématiques spécifiques du handicap neuro-développemental qu’est l’autisme.
Lorsque l’enfant présente des troubles du comportement importants ou un déficit intellectuel plus lourd, les parents n’ont pas d’autre alternative que les milieux fermés.
Parlons d’abord des "Hôpitaux de jour », terme politiquement correct pour désigner des hopitaux psychiatriques pour enfants où ils sont admis en journées. Ici on
accueille en principe les enfants autistes les plus gravement atteints. Les « soins » qu'ils y reçoivent sont basés sur les théories psychodynamiques, inspirées des thèses de
psychanalystes tels que Freud, Lacan, Tustin, Bettelheim, Klein ou Mannoni. Il s’agit de « guérir » le psychisme de l’enfant qu’on suppose malade. On va donc tenter d’agir sur
l’évolution « dynamique » du psychisme dans son environnement (notamment familial et social) ; le travail est centré essentiellement sur « la relation à l'autre », à
travers des activités dites d’échange (autocollant, dessin, ateliers de théâtre, psycho-drame, contes) et malheureusement aussi à l’aide de thérapies dites « corporelles ». Ainsi
l’atelier « pataugeoire », qui consiste à mettre un enfant en maillot de bain dans une petite baignoire, où deux voire trois « thérapeutes » observent et interprètent son
comportement dans l'eau : se touche-t’il les parties intimes ou non, quels sont ses gestes, ses expressions, et on en tire des conclusions savantes sur son psychisme. Il importe
« d’accueillir toutes les productions de l’enfant quelles qu’elles soient », ainsi on en dira rien à un enfant qui défèquera dans la pataugeoire (au contraire cette
« production » sera prise en compte dans l’analyse). Dans le cadre de cet exemple, le revers est que l’enfant pourra en déduire qu’il est normal et acceptable de déféquer en public,
ce qui n’ira pas dans le sens d’aider son intégration sociale.
Pire encore est le « packing », destiné en principe aux enfants présentant « des troubles graves du comportement » (crises aiguës, auto-mutilation). Cette
« thérapie » consiste à déshabiller l’enfant et une fois presque nu, l’emmailloter bien serré dans des draps mouillés préalablement placés au réfrigérateur à une température
d’environ 10°C. Seul le visage est libre afin d’empêcher la suffocation. L'objectif est de générer un choc thermique et ainsi de permettre de « recréer le moi-peau psychique »
censément défaillant chez ces enfants. Évidemment ce "traitement" n'a pas été validé par l'Organisation mondiale de la Santé, aucune étude scientifique n’a encore été menée à bien (l'unique
étude en cours depuis 3 ans est menée par ceux-là mêmes qui ont introduit la pratique en France et qui la propagent aujourd'hui). Malgré cela, le packing est couramment pratiqué dans de
nombreux hopitaux de jour et instituts spécialisés qui s'occupent d'enfants autistes, sans supervision et sans méthodologie claire. Les associations de parents s’en sont plaint plusieurs fois
auprès du ministère de la Santé,sans résultat, le packing ayant été jugé « sans danger pour la santé » sans que les questions d’éthique et de possibilité de maltraitance aient été
examinées.
D’une manière générale, bien que les hôpitaux de jour soient financés par la Sécurité Sociale, la plupart mettent en œuvre des prises en charge sur lesquelles il n’existe que très peu
d’études d’efficacité. Face à la levée de bouclier des associations de familles, les hôpitaux de jour et centres spécialisés ont trouvé la parade : l’approche dite
« intégrative » se targuant d’intégrer les approches comportementales ayant fait leurs preuves partout dans le monde . En réalité l’apport cognitivo comportemental se réduit bien
souvent à peau de chagrin , pour la forme : quelques pictogrammes et quelques ateliers individuels de quelques minutes par semaine, et seulement si l’enfant est bien disposé. La
plupart du temps il est très difficile aux familles des enfants qui y sont pris en charge de savoir exactement quelles activités sont menées avec leurs enfants, dans quels buts et pour quels
résultats. Il est fréquent que de par leur formation psychanalytique, les professionnels de ces centres voient dans les difficultés de l’enfant un symptôme d’un trouble relationnel entre
l’enfant et ses parents, ce qui les conduit à privilégier une psychothérapie psychanalytique sur toute la famille plutôt que de réellement stimuler l'enfant autiste. Parce qu'il y a peu (ou
pas) de supervision réelle sur le terrain par le Ministère de la Santé ou par les Agences Régionales de Santé, ces équipes font en réalité ce qu'elles veulent.
Passons à présent aux Instituts Médico-Educatifs ou IME. On y reçoit des enfants et adolescents porteurs de handicaps divers, souvent mélangés dans la même structure, parfois
répartis dans des structures spécialisées par type de handicap. Ces IME sont de qualité trés hétérogène selon les équipes qui les gèrent, leur formation (psychanalytique ou non), leur
motivation également. Ainsi certains IME font exactement la même chose qu’en hôpital de jour, il n'y a rien qui mérite le terme « d’Educatif » dans ce qu'ils proposent. A l’inverse,
quelques rares IME (la plupart du temps à l’instigation des associations de parents) commencent à utiliser les approches éducatives TEACCH, PECS et ABA dans le domaine de l’autisme, avec pour
but que l’enfant puisse autant que possible rester en parallèle dans une école ordinaire, voire un jour quitter l’IME. Ces structures sont prises d’assaut par les familles et la liste
d’attente y atteint plusieurs années.
Quoi qu'il en soit, d’une manière générale les IME reçoivent principalement des enfants rejetés par le système scolaire français en raison de leur « incapacité à suivre le niveau ».
Certains IME gèrent des classes dites « d'intégration » au sein d’une école ordinaire, mais quand ils le font, rares sont ceux spécialisés dans l'autisme, et le temps d'intégration
réel avec les enfants "ordinaires" est très faible (sports, dessin, musique). Souvent l'enseignant qui a en charge ces enfants (jusqu'à 12 par classes avec divers handicaps) n'a ni les
ressources ni la formation ni l'expérience nécessaires, et le temps en classe tend plus vers la garderie que vers une véritable éducation.
Là encore, les situations sont très différentes en fonction des IME, des enseignants, etc. Il est très difficile de trouver une logique dans ce casse-tête et les familles doivent avoir la
chance d’habiter au bon endroit, ou alors déménager, pour trouver un IME ce bonne qualité pour leur enfant.
Il faut aussi souligner qu’aujourd’hui les enfants autistes qui ont des problèmes de comportement (ce qui est assez souvent le cas, surtout avec une prise en charge inadaptée) se font
fréquemment rejeter de l’école ordinaire, et sont quasi- systématiquement rejetés passé le stade de la maternelle (7 ans) dès qu’ils sont porteur de retard mental (soit au moins 50% des
personnes autistes). Ils finiront leur vie dans un centre spécialisé fermé, coupés du milieu ordinaire. Parfois ils pourront intégrer une classe d’intégration spéciale (CLIS).
Aujourd’hui les élèves autistes passés 7ans, et sans déficience, sont acceptés en classe avec une auxiliaire de vie, s’ils ne perturbent pas la classe, ce qui n’était pas le cas il y a encore
quelques années, mais il n’en reste pas moins que pour le ministère de l'Education, un enfant avec un handicap mental est un enfant qui ne peut pas suivre le programme scolaire, et donc que
sa place n'est pas avec les autres enfants, déficience avérée ou non. De plus, les évaluations des capacités de ces enfants sont essentiellement menées sur leurs aptitudes scolaires, ce qui
fausse considérablement la donne eu égard au mode de fonctionnement neuro-psychologique de la personne autiste.
En raison de cette situation, (enfants rejetés de l’école, très peu d’IME adaptés pour les autistes), beaucoup de mères sont contraintes d’arrêter de travailler pour s’occuper de leur enfant
autiste à la maison, et les conduire aux quelques prises en charge qu’elles auront pu mettre en place la plupart du temps en libéral (orthophonie, psychomotricité, ABA ou TEACCH). Seule
l’orthophonie étant remboursée, pour le reste des prises en charge les familles sollicitent des aides financières à la Maison des Personnes Handicapées. Dans ce domaine encore l’inégalité
règne, certaines MDPH prenant en compte les frais de TEACCH ou d’ABA, d’autres refusant d’en entendre parler. Même dans un cas favorable l’allocation versée est insuffisante pour financer
plus que quelques heures de prise en charge par semaine, alors que les études réalisées montrent qu’ils faut en général entre 10 et 20 heures hebdomadaires pour obtenir de bons résultats.
En résumé : selon le département de résidence, les frais de prise en charge liés à l’autisme d’un enfant seront couverts correctement,… ou pas. Vous pourrez trouver à côté de chez vous
quelques rares structures adaptées, ou plus probablement des hopitaux de jour ou des IME qu’il vaut mieux fuir.
Comme nous l’évoquions plus haut, dans le cas des enfants sans déficience intellectuelle (autistes de haut niveau, syndrome d’asperger, mais aussi par exemple dysphasiques ou hyperactifs) il
est possible en principe de rester scolarisé en milieu ordinaire avec l’aide d’une auxiliaire de vie. Mais là encore l’arbitraire règne selon les départements et les académies : la MDPH
peut octroyer l’AVS nécessaire, ou non, pour des cas similaires ; ensuite selon les moyens alloués par le ministère de l’Education Nationale et les choix locaux des Recteurs et
Inspecteurs d’Académie, les postes nécessaires seront effectivement mis en place localement, ou non ; pour finir, il est très difficile de recruter des candidats sur ces postes,
étant donné le faible niveau de salaire et la précarité du contrat, compte tenu de la responsabilité qui est demandée. La plupart des AVS ne sont pas formées du tout au handicap de l’enfant
qu’elles doivent aider, certaines abandonnent au bout de quelques jours ou semaines et laissent l’enfant sans accompagnement, ce qui induit souvent une déscolarisation. Il y a autant de
situations que d’enfant et répertorier les cas illogiques ou scandaleux prendrait des années.
Un enfant qui reste scolarisé peut alors être suivi par un établissement de type « SESSAD ». Ces établissements sont dédiés au suivi d’enfants scolarisés en milieu
ordinaire, contrairement aux IME ou aux hopitaux de jour. La encore, c’est la loterie : rien ne dit que le personnel du SESSAD est à jour dans son bagage théorique et fera véritablement
de l’éducatif structuré.
On a compris le casse-tête auquel sont confrontées les familles d’enfants autistes en France. Devant le caractère insoutenable de leur situation beaucoup s’accomodent de ce qu’ils trouvent et
confient l’enfant à l’hopital de jour ou à l’IME local. D’autres avec plus de chance (selon leur lieu de résidence et leurs moyens financiers) rament à contre-courant d’un système qui fait
tout pour exclure leur enfant du milieu ordinaire, au leitmotiv de « Mais vous ne croyez pas qu’il serait mieux dans une école spécialisée ? Pensez au bien être de votre enfant
un peu ».
Le Plan Autisme 2008-2011 a permis la création d’une poignée de structures dites « expérimentales », de type IME ou SESSAD, au sein desquelles les méthodes TEACCH, ABA et PECS sont
utilisées. Mais ces structures ne représentent que 10% de l’argent de ce plan ; le reste a été récupéré par les établissements existants, qui restent ancrés dans leurs pratiques
obsolètes, car il est plus facile d’agrandir une structure existante que de changer des pratiques en place depuis des années et ces structures peuvent facilement « faire moderne »
en mettant en avant quelques pictogrammes scotchés sur les portes ou des formations ABA express de 3 jours de leurs personnels, qui resteront lettre morte devant le refus du pédopsychiatre ou
du chef de service de mettre en pratique ces méthodes.
A l’arrivée, 80% des enfants autistes en France ne vont pas à l’école. Les 20% d’enfants « privilégiés » sont généralement autistes sans retard mental, avec
quelques cas d’autistes avec retard, lorsque leurs parents se battent jusqu’au bout de leurs forces, au risque d’y user leur santé, leur couple et leurs finances. Et encore : à 7 ans
c’est le rejet hors du système, et l’enfant reste à la maison, à la charge complète des parents qui refusent les IME « voie de garage » qu’on leur propose généralement. Parmi les
enfants autistes scolarisés c’est encore question de chance locale (selon les établissements d’accueil, leur bienveillance) : certains iront à l’école presque à temps plein, d’autres ½
journée par semaine. Certains auront une AVS bien formée, d’autres une AVS non formée et non motivée…
Il faut dire que très peu d'argent est donné à l'Education Nationale pour former les enseignants au handicap. Il faut dire aussi que les enseignants en France ont parfois des classes de plus
de 38 élèves. En France, 90% de l'argent pour aider les autistes va aux hôpitaux de jour et autres établissements « fermés », on ne donne pas les moyens de scolariser et maintenir
les autistes à l’école ordinaire. Il y a aussi des croyances et des préjugés, mais il est évident que si plus d'argent était consacré à l'éducation plutôt qu’aux structures d’exclusion la
situation serait moins grave. Un excellent centre de ressources existe pour les enseignants, l’INSHEA, mais les guides qu’il publie parviennent aux enseignants jusqu’à deux ans après leur
parution…
En conclusion, si on veut sortir les autistes français et leurs familles du cauchemar dans lequel ils sont plongés, il faut :
- changer les mentalités en France : aller vers l’inclusion des handicapés dans la société, et non leur exclusion comme aujourd’hui ; il faut cesser de considérer
les handicapés comme un problème à évacuer, il s’agit d’êtres humains avec un potentiel et une richesse
- réorienter les fonds publics vers l’éducation plutôt que les centres fermés au milieu ordinaire (hôpitaux de jour et la grande majorité des IME)
- généraliser les meilleures pratiques de prise en charge largement validées par des décennies d’utilisation dans les autres pays, accepter que l’autisme est un handicap et non une
maladie psychique (due à une relation familiale déficiente ou à une maladie mentale propre à l’enfant).
La plupart des professionnels en France ont 40 ans de retard tant théorique que pratique. Si ces professionnels continuent leurs mauvaises pratiques actuelles, sans que les Agences Régionales
de Santé ne jouent leur rôle et les obligent à évoluer, le cauchemar continuera. L’accès aux prises en charges adaptées, l’inclusion scolaire et sociale, ne doivent pas être une question de
hasard lié au lieu d’habitation et aux ressources financières, mais un droit pour tous les autistes français, enfants et adultes, quel que soit leur niveau.